MANUEL DE LIBÉRATION

Auteur : Alexander Kuznetsov est un réalisateur russe de 59 ans. Il est également chef opérateur et photographe de presse. Il a publié dans de nombreux magazines comme GEO ou Natioanl Geographic. Il a fait des expositions au musée russe de Saint Petersbourg, aux États-Unis à Harvard, en Suisse ou dans des musées norvégiens. Sa filmographie comprend trois documentaires : Territoire de l’amour (2010), sélectionné dans divers festivals Honfleur, Lussas ou Moscou. L’action se situe dans un institut neuro-psychiatrique en Sibérie. Son second documentaire, Territoire de la liberté (2014), sélectionné au Festival Visions du Réel de Nyon en 2014, Prix du documentaire sur Grand Écran au festival de films d’Amiens, qui nous montre, loin de la grisaille et de l’agitation de la ville, l’existence d’un autre territoire où l’on respire ce qui en Russie n’a jamais existé : la liberté. Puis Manuel de libération en 2016, tourné au même endroit que son premier documentaire.

Résumé : En Sibérie, Yulia et Katia ont été transférées depuis l’orphelinat dans un internat neuropsychiatrique. Là les pensionnaires sont privés de tous leurs droits civils : aucune liberté, aucun droit ni de travailler, ni de se marier, ni de fonder une famille, ni d’avoir un logement et ce, à vie. Elles entament un combat pour obtenir de l’État la restitution de leurs droits, pour retrouver le chemin de leur liberté. Le documentaire les suit dans cette lutte, entre espoir, déception et désespérance.

Analyse : Le documentaire commence par des plans serrés sur les visages de personnes, auxquelles une voix demande avec douceur « Quel est ton rêve ? ». Et la réponse est invariablement la même : avoir un travail, une famille, un logement à moi. D’emblée on ressent chez le réalisateur une grande empathie à l’égard de ces enfermés pour la vie. Si la plupart des pensionnaires n’ont pas même conscience de cette absence d’autonomie, le drame est que cet établissement abrite aussi des personnes sortant d’orphelinats, légèrement perturbées mais saines d’esprit et dont l’État ne veut assumer ni la charge ni l’avenir. Le réalisateur suit particulièrement Yulia et Katia. Elles sont terriblement émouvantes l’une et l’autre avec leurs regards aux larmes contenues ou versées. Elles ont toutes les deux un passé parallèle. Elles sortent de l’orphelinat, l’une abandonnée dès sa naissance, l’autre par sa mère après des maltraitances qui ont provoqué diverses tentatives de fugues. La rationalité de leur discours nous fait douter de leur présence en ce lieu. Logiquement elles essaient, avec l’aide du directeur de l’institut, gros nounours plein de tendresse pour elles, d’obtenir la restitution de leurs droits civils. Alexander Kutnetsov suit fidèlement toutes les étapes de ce long parcours.

Curieusement aucune révolte, aucune violence n’animent ni ces jeunes filles ni le réalisateur. Ce dernier garde une certaine distance, sans vouloir être trop démonstratif ou trop critique, sans doute par prudence. Prudence aussi de ces deux jeunes filles qui se préparent avec beaucoup de soin à l’audition devant des psychiatres et devant le tribunal. Elles apprennent à mesurer leurs émotions, à ne pas les extérioriser, elles sont attentives à leur habillement pour mettre toutes les chances de leur côté, d’où le titre du documentaire. Comme elles sont émouvantes ! Et si violence il y a c’est celle du spectateur qui dans son for intérieur se révolte devant tant d’injustice et de malheur. Injustice surtout lorsque l’on assiste à l’audition devant le tribunal, machine à broyer les individus, avec des juges qui ont l’air de robots, et qui sans tenir compte de l’humanité de ces personnes, de leurs progrès ou de leurs capacités réelles, se contentent de juger sur dossiers, sur des rapports psychologiques datant parfois de leur enfance perturbée.

À la manière dont elles sont filmées on sent à quel point le réalisateur est touché par leur situation. C’est d’ailleurs le second documentaire qu’il réalise dans cet établissement où il a vécu pendant de longs mois en immersion et où il revient paraît-il souvent. Il se contente de témoigner d’une humanité humble et courageuse, mais en creux il nous montre combien l’État russe peut être impitoyable avec les faibles qui auraient besoin de son assistance. Malgré quelques imperfections ce documentaire est remarquable et bouleversant.

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