Auteur : Mai Masri est une réalisatrice, productrice (Nour Productions), scénariste palestinienne, fille d’un père palestinien de Naplouse et d’une mère américaine. Née en 1959 à Amman, Jordanie, elle suit des études de cinéma à l’Université de San Francisco aux États-Unis. Début des années 80, elle s’installe au Liban. Documentariste, elle a co-réalisé avec son mari, le cinéaste libanais Jean Chamoun, plusieurs films qui sont essentiellement des documentaires, sur les effets de la guerre au Liban, ainsi que sur la résistance palestinienne, notamment du point de vue des femmes et des enfants, parmi lesquels Sous les décombres en 1983, Fleur d’Ajonc et Femmes du Sud Liban en 1986, Beyrouth, Génération de la Guerre en 1988. Les Enfants du feu, un film sur l’Intifada, en 1990. Rêves suspendus en 1992. En 1995, elle réalise le portrait d’une femme palestinienne, leader politique : Hanan Ashrawi, une femme de son temps, et en 1998, elle filme Les Enfants de Chatila. En 2007, elle signe Trente trois jours. Son dernier film, 3000 nuits est son premier long métrage de fiction mais tiré d’une histoire vraie. Ce film est né dans le cadre de l’Atelier de la Cinéfondation du festival de Cannes en 2012 et a été soutenu par Ken Loach. Il a été choisi pour représenter la Jordanie aux Oscars et aux Golden Globes.
Résumé : 1980 à Naplouse, en Cisjordanie occupée, à l’avant-veille des massacres de Sabra et Chatila. Layal (Maisa Abd Elhadi), institutrice, a été prise dans une rafle en compagnie d’un adolescent qu’elle avait pris en stop. Elle est jetée dans une prison israélienne, rapidement jugée et condamnée injustement à 8 ans de prison. Elle y découvre qu’elle est enceinte, y accouche et y élève son enfant qui passera ses deux premières années derrière les barreaux.
Analyse : Comme tous les films de Mai Masri ce dernier est résolument engagé. Il se situe au cœur du conflit israélo-palestinien, douloureux pour tout le monde, qu’il ne nous appartient pas de commenter dans le cadre de cet article. Nous n’envisagerons que l’œuvre cinématographique qui a une valeur artistique indéniable, qui révèle la maîtrise de la réalisatrice qui sait parfaitement traduire avec force et intensité son engagement, sans forcer notre émotion.
Dès les premières images la violence imprègne le film. Le hurlement des sirènes, l’intérieur d’un fourgon de police filmé caméra à l’épaule, des images qui sautent avec les cahots de la route, des séquences courtes enchainées à vive allure, une atmosphère lourde dans une semi pénombre. De ce lieu sombre et hostile émergent des visages tuméfiés, des corps enchainés, des yeux bandés. L’arrivée à la porte de la prison ne donne aucun répit. Les occupants du véhicule sont évacués, à la crosse du fusil, par des soldats d’une brutalité et d’une violence inouïe. Nous arrivons dans l’univers carcéral où le reste du film va se dérouler. Le conflit israélo-palestinien est transposé également dans ce lieu clos. Layal, désormais matricule 735, habillée de bleu comme toutes les détenues palestiniennes, est jetée dans une cellule où les prisonnières sont en habit de ville. Ce sont des israéliennes, qui se comportent envers elle avec violence verbale et physique, mépris, brimades et humiliations. Elle est ensuite transférée dans une autre cellule, avec d’autres palestiniennes. Mais là, à part quelques exceptions, elle subit la méfiance des autres car on la soupçonne de renseigner la direction.
Layal devra effectivement composer avec cette direction pour pouvoir garder son enfant et accouchera, poignets menottés aux barreaux de la tête du lit. Mais elle ne se compromettra pas.
Malgré cet enfermement, malgré les conditions de détention précaires et détestables, le chantage et les vexations, ce film n’est pas dénué d’espoir. Tout d’abord il évite l’obstacle du manichéisme. La présence de ce bébé, appelé Nour (la lumière), suscite la douceur et la solidarité de la part des détenues, et nous donne des images de vie et de tendresse, même dans un lieu clos de barreaux et de barbelés. Solidarité aussi entre palestiniennes et israéliennes, où la tendresse et l’amitié finissent parfois par l’emporter sur la haine. Belle figure également de cette avocate israélienne qui défend Layal avec courage, détermination et sincérité, ce qui montre que l’humanité n’a pas de nationalité.
Ensuite, sans que ce soit paradoxal, la lumière occupe une grande place. Lumière diaphane d’une bougie sur un visage ; lumière ensoleillée du jour qui projette sur les murs de la cour les ombres mouvantes des barreaux et des barbelés pour indiquer la longueur des heures qui passent, la présence et le chant des oiseaux qui sautillent au dessus des barbelés sur fond de ciel bleu.
L’engagement de ce film explique peut-être sa diffusion très confidentielle, à Paris du moins. C’est dommage car, au delà des raisons de ce conflit, c’est une œuvre bouleversante, au sens fort de ce terme, et qui ne peut laisser indifférent.